La terre est le premier élément par lequel se sont signés les rapports humains à la mort. Cependant, ces rapports sont marqués de l'universalité et de l'ambivalence de l'archétype de la terre, ce qui contribue à la richesse et à la complexité de la symbolique des rites funéraires.
MISE EN TERRE
D'un côté, la «valence positive» de la terre rend compte d'un retour à l'univers sur lequel on a marché et qui nous a nourris. Dans cette ligne du don, la sépulture est associée à la mort maternelle, à un nouvel enfantement: ainsi chez les Africains, la tombe est une sorte de chambre à coucher où s'opère une intense transformation de la vie. On confie la mort au sein de la «vieille» (c'est ainsi que l'on désigne la terre) en vue de la nouvelle initiation. Par extension, l'analogie entre l'humus, le terreau, le terroir, et le domaine de l'âge hérite d'une grande espérance de vie, confère à la vieillesse un statut méritoire dans la société des vivants.
Quatre caractéristiques marquent alors le retour à la terre-mère. En premier lieu, il réunit le mort avec ceux de son matrilinéage; de plus, par la formation d'un squelette dur et propre, le repos en terre assure une nouvelle intégrité à la personne; l'ensevelissement dans la terre où reposent les ancêtres permet en outre un retour vivifiant aux origines: c'est le centre de la terre des Amérindiens, là où s'équilibrent le corps social et le corps de la terre; les enfants y sont couchés en elle «comme dans le sein de la mère»(1); enfin l'inhumation ainsi investie assure l'irréversibilité de la mise en route vers le statut d'ancêtre,
Par ce travail symbolique, la mort est éliminée sans toutefois que le défunt ne soit perdu, mais bien récupéré comme ancêtre tutélaire. Il se porte alors garant de la prospérité et de l'ordre lignagier. Les humains dépassent ainsi la peur qu'il engendre chez eux et lui assignent un code de bonne conduite (2).
De son côté, «la valence négative» de la mise en terre met en évidence l'angoisse fondamentale et universelle de ne pas être réellement mort. Bien plus, l'association avec la mort maternelle, comme on vient de voir, si empreinte de douceur lénifiante, n'est pas non plus dénuée d'angoisse: cette angoisse est liée à la séparation, à la déperdition du lien originel.(3)
Si on revient au cadre général de l'archétype, soulignons ceci: probablement dû à cette ambivalence, probablement dû aux systèmes eschatologiques qui les supportent, les rites funéraires traditionnels axés sur la mise en terre manifestent une grande richesse et une grande complexité.
Notes
(1) T.R. Henry, Wilderness Messiah, New York, William Sloane Associates, 1955, p. 128.
(2) Voir L.-V. Thomas, Anthropologie de la mort, Paris, Payot, 1975.
(3)Voir L. Ouimet et F, Jammes, «Agochin Atiskein: le festin des âmes. Rites hurons lors de la période du contact», Frontières, 10, 2, 1998, p, 21-26.
D'un côté, la «valence positive» de la terre rend compte d'un retour à l'univers sur lequel on a marché et qui nous a nourris. Dans cette ligne du don, la sépulture est associée à la mort maternelle, à un nouvel enfantement: ainsi chez les Africains, la tombe est une sorte de chambre à coucher où s'opère une intense transformation de la vie. On confie la mort au sein de la «vieille» (c'est ainsi que l'on désigne la terre) en vue de la nouvelle initiation. Par extension, l'analogie entre l'humus, le terreau, le terroir, et le domaine de l'âge hérite d'une grande espérance de vie, confère à la vieillesse un statut méritoire dans la société des vivants.
Quatre caractéristiques marquent alors le retour à la terre-mère. En premier lieu, il réunit le mort avec ceux de son matrilinéage; de plus, par la formation d'un squelette dur et propre, le repos en terre assure une nouvelle intégrité à la personne; l'ensevelissement dans la terre où reposent les ancêtres permet en outre un retour vivifiant aux origines: c'est le centre de la terre des Amérindiens, là où s'équilibrent le corps social et le corps de la terre; les enfants y sont couchés en elle «comme dans le sein de la mère»(1); enfin l'inhumation ainsi investie assure l'irréversibilité de la mise en route vers le statut d'ancêtre,
Par ce travail symbolique, la mort est éliminée sans toutefois que le défunt ne soit perdu, mais bien récupéré comme ancêtre tutélaire. Il se porte alors garant de la prospérité et de l'ordre lignagier. Les humains dépassent ainsi la peur qu'il engendre chez eux et lui assignent un code de bonne conduite (2).
De son côté, «la valence négative» de la mise en terre met en évidence l'angoisse fondamentale et universelle de ne pas être réellement mort. Bien plus, l'association avec la mort maternelle, comme on vient de voir, si empreinte de douceur lénifiante, n'est pas non plus dénuée d'angoisse: cette angoisse est liée à la séparation, à la déperdition du lien originel.(3)
Si on revient au cadre général de l'archétype, soulignons ceci: probablement dû à cette ambivalence, probablement dû aux systèmes eschatologiques qui les supportent, les rites funéraires traditionnels axés sur la mise en terre manifestent une grande richesse et une grande complexité.
Notes
(1) T.R. Henry, Wilderness Messiah, New York, William Sloane Associates, 1955, p. 128.
(2) Voir L.-V. Thomas, Anthropologie de la mort, Paris, Payot, 1975.
(3)Voir L. Ouimet et F, Jammes, «Agochin Atiskein: le festin des âmes. Rites hurons lors de la période du contact», Frontières, 10, 2, 1998, p, 21-26.