L'Encyclopédie sur la mort


La terre: universalité et ambivalence de l'archétype

Luce Des Aulniers

La terre est le premier élément par lequel se sont signés les rapports humains à la mort. Cependant, ces rapports sont marqués de l'universalité et de l'ambivalence de l'archétype de la terre, ce qui contribue à la richesse et à la complexité de la symbolique des rites funéraires.
MISE EN TERRE
D'un côté, la «valence positive» de la terre rend compte d'un retour à l'univers sur lequel on a marché et qui nous a nourris. Dans cette ligne du don, la sépulture est associée à la mort maternelle, à un nouvel enfantement: ainsi chez les Africains, la tombe est une sorte de chambre à coucher où s'opère une intense transformation de la vie. On confie la mort au sein de la «vieille» (c'est ainsi que l'on désigne la terre) en vue de la nouvelle initiation. Par extension, l'analogie entre l'humus, le terreau, le terroir, et le domaine de l'âge hérite d'une grande espérance de vie, confère à la vieillesse un statut méritoire dans la société des vivants.

Quatre caractéristiques marquent alors le retour à la terre-mère. En premier lieu, il réunit le mort avec ceux de son matrilinéage; de plus, par la formation d'un squelette dur et propre, le repos en terre assure une nouvelle intégrité à la personne; l'ensevelissement dans la terre où reposent les ancêtres permet en outre un retour vivifiant aux origines: c'est le centre de la terre des Amérindiens, là où s'équilibrent le corps social et le corps de la terre; les enfants y sont couchés en elle «comme dans le sein de la mère»(1); enfin l'inhumation ainsi investie assure l'irréversibilité de la mise en route vers le statut d'ancêtre,

Par ce travail symbolique, la mort est éliminée sans toutefois que le défunt ne soit perdu, mais bien récupéré comme ancêtre tutélaire. Il se porte alors garant de la prospérité et de l'ordre lignagier. Les humains dépassent ainsi la peur qu'il engendre chez eux et lui assignent un code de bonne conduite (2).

De son côté, «la valence négative» de la mise en terre met en évidence l'angoisse fondamentale et universelle de ne pas être réellement mort. Bien plus, l'association avec la mort maternelle, comme on vient de voir, si empreinte de douceur lénifiante, n'est pas non plus dénuée d'angoisse: cette angoisse est liée à la séparation, à la déperdition du lien originel.(3)
Si on revient au cadre général de l'archétype, soulignons ceci: probablement dû à cette ambivalence, probablement dû aux systèmes eschatologiques qui les supportent, les rites funéraires traditionnels axés sur la mise en terre manifestent une grande richesse et une grande complexité.





Notes
(1) T.R. Henry, Wilderness Messiah, New York, William Sloane Associates, 1955, p. 128.
(2) Voir L.-V. Thomas, Anthropologie de la mort, Paris, Payot, 1975.
(3)Voir L. Ouimet et F, Jammes, «Agochin Atiskein: le festin des âmes. Rites hurons lors de la période du contact», Frontières, 10, 2, 1998, p, 21-26.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

Documents associés

  • Industrie de la mort (L')
  • Que penser en effet, d’une société où la notion même de sacré (espace séparé, soustrait aux...
  • Tombeau de l'homme saint
  • Ils arrivèrent devant le tombeau. C'étaient juste quatre murs de boue peinte à la chaux, posés sur...
  • Quoi faire du cadavre?
  • Tous les peuples n'ont pas eu la vénération des morts et certains ont même pendant longtemps...
  • La souillure funèbre
  • D'un côté en effet l'impureté du cadavre, sa putréfaction et sa contagiosité, nuisent au sort de...
  • Frais funéraires
  • Les entreprises funéraires ont érigé de grands complexes commerciaux où l'on prend en charge la...
  • L'arbre à l'envers
  • C’est en ces lieux où la couleur dominante est le rouge de la terre, car nous sommes là dans...
  • La musique funèbre
  • « Hélène, la tragédie d'Euripide, met en scène l'histoire funeste de l'héroïne grecque. Elle...
  • Les pieds des morts
  • Nous habillons les morts. Ils devraient toujours s'en aller nus, pourtant; le bois du cercueil...